Crise : trois chemins de recherche

Publié le par alain.éli laurent-faucon - éli-alain - 絵莉 - noriko

 

Trois chemins pour questionner les crises, du monde des conséquences (le quoi) au monde flottant (le vide) en passant par la triangulation du sensible, de l'intelligible et de l'imaginal

 

- 絵莉 & Alain -

 

PREMIER CHEMIN

 

« Monde des conséquences, « tsimtsoum » et questionnement sans fin ou « quoibilité » (Mah) selon la pensée herméneutique juive

Le « monde des conséquences » et le tsimtsoum (de l'hébreu צמצום, contraction) selon les kabbalistes éclairent le monde dans lequel nous naissons et que nous traversons de façon éphémère. Ce monde des conséquences reste un ouvert, un livre en train de s’écrire, un toujours en devenir qui engage l’être humain seul responsable de ses faits et gestes. Le « tsimtsoum » ou retrait divin en lui-même pour laisser à l’humain la possibilité d’éprouver sa liberté et pour faire advenir son libre arbitre, le « tsimtsoum » autorise la singularité humaine tout en engageant sa responsabilité éthique. Tout projet humain est en devenir, rien n’est figé, il est sans cesse à inventer. L’émergence, l’incertain et l'impermanence dans la permanence, l’inachevé et l’éphémère, l'imprévu et l’imprévisible le caractérisent et caractérisent le « monde des conséquences ». Quant au tsimtsoum, il incite l'homme à "faire retrait" en lui-même, à ne point se fossiliser sur ses propres certitudes et à éviter la répétition du déjà vu, déjà lu, déjà interprété. Le questionnement sans fin pour faire surgir du nouveau, de l’inédit, le « Mah » (מָה), c’est-à-dire le « Quoi » ou la « quoibilité » selon le philosophe et herméneute Marc-Alain Ouaknin, est essentiel dans l’herméneutique hébraïque. Il est un ouvert.

 

DEUXIÈME CHEMIN

 

Triangulation entre les mondes « sensible, intelligible, imaginal » selon les philosophes prophétiques perses :

Notre « monde des conséquences » séjourne au cœur d’une triangulation interactive et toujours en perpétuel devenir entre l’émotionnel (le sentiment, le sensible), la raison (le logos grec, marqueur de la philosophie occidentale mais pas seulement …) et l’imaginal (l’au-delà du miroir, la traversée du miroir) si bien pensé par la philosophie prophétique perse. Un monde imaginal qui ne se réduit pas à l’imaginaire ou à la rêverie poétique, mais qui montre-voir un monde non visible mais dicible. Le monde imaginal est un ouvert, toujours à être, en devenir d’être, un monde qui autorise les questionnements, bouscule les certitudes mondaines, irrigue le sensible et l’intelligible tout en étant interpelé par eux au sein de la triangulation. Le symbolique s’inscrit dans le monde imaginal et nous savons avec Lacan que « le forclos du symbolique réapparaît dans la crise ». Oublier cela, c’est se risquer à ne pas comprendre ce qui se passe en temps de crise, même s’il importe de questionner ce qui émerge en faisant appel à la pensée complexe chère à Edgar Morin. Les questionnements sans fin, tissés comme des toiles d’araignée, sont à l’œuvre, y compris dans la philosophie prophétique perse, pour échapper aux fermetures du « c’est comme ça ».

 

TROISIÈME CHEMIN

 

« Monde flottant » - L'ukiyo-e (浮世) - monde de l’impermanence et de l’éphémère selon la pensée (philosophie ?!) japonaise :

Déjà le vocable utilisé fait sens et ouvre des perspectives d’intelligibilité. Le terme « philosophie » est trop connoté philosophie occidentale pour approcher les modes de questionnement japonais. En effet, la philosophie représentée par le monde occidental est dogmatique, englobante par ses systèmes, réductrice par ses concepts, minée par ses discours d’autorité. Le concept de nature en est un parfait exemple. Au Japon la nature est en nous et nous sommes la nature. Elle n’est pas un phénomène image, une belle carte postale ni un concept. Et ce refus du concept, donc de la fermeture, de la limitation, ouvre d’autres champs de possible dans le domaine de la pensée et dans la perception du ce qui est, du réel en ses réalités. Il y a de l’indéterminé, de l’inachevé, de l’éphémère, et le symbolique importe dans l'intuition de l’instant présent. Nous habitons dans un « monde flottant » - l'ukiyo-e (浮世) ou encore monde de l’impermanence. Par ailleurs, l’écart, l’intervalle, la distance et le vide renvoient à un même mot : Ma = , le « Ma » exprimant les variations du vide.

Ma = 間 ou les variations du vide :

En kanji, l’idéogramme japonais avec lequel on écrit « Ma » symbolise un soleil entouré par une porte. Le « Ma » ne sépare pas, il unit. Pour les japonais, être vide, c’est être « plein de rien ». Hideo Kamata, auteur du livre « Les japonais ne sont pas ceux que vous croyez », reprend cette idée du vide en déclarant que dans l’esprit japonais :

« la vérité ne peut pas se transmettre par la parole, la vérité existe dans le vide entre les paroles, entre les lignes ».

Voilà pourquoi dans l’esthétique japonaise - esthétique du vide - on ne sature jamais l’espace. Par exemple, comme le note Roland Barthes (L'empire des signes), dans l’art de l’Ikebana (composition florale), « ce qui est produit, c’est la circulation de l’air, dont les fleurs, les feuilles, les branches (mots beaucoup trop botaniques) ne sont en somme que les parois, les couloirs, les chicanes, délicatement tracés selon l’idée d’une rareté… ». 

 

 

 

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