SHOAH : RÉPONSE A PETIT-FILS

Publié le par alain laurent-faucon



Je réponds en même temps à vos deux commentaires car les mots utilisés ne sont pas tout à fait identiques, et tous les mots importent : ils ne sont jamais choisis au hasard, ils dévoilent autant qu'ils masquent ; et j'avoue, en même temps, que je ne comprends pas trop ce que vous attendez de moi ou ce que vous voulez prouver. Mais, d'abord, je me permets de reproduire vos deux commentaires, dans l'ordre d'arrivée :


Vos commentaires


Premier commentaire : « Ancien élève de Mr Grjebine (pas mon meilleur souvenir) je me permets de soumettre mon travail de mémoire ( pas bavard ; très illustré ) sur Mauthausen. et je me régale à l'avance de lire vos explications à mon action. »

Deuxième commentaire : « Je me permets de vous soumettre mon travail de mémoire (pas bavard ; très illustré) que je réalise sur Mauthausen, j'ai hâte de vous lire et de comprendre le sens de mon action. »


Le blog d'un petit fils de victimes de la Shoah


Ensuite, j'invite tout le monde à se rendre sur votre blog pour se « heurter » à l'image et découvrir votre travail de mémoire qui entend ne jamais oublier et rappeler, par le choc visuel, ce que peut être l'humain, l'humanité, « la » civilisation. Et aussi et surtout pour nous dévoiler cette part maudite qui est en nous, qui est consubstantielle à l'être humain, cette terrifiante « banalité du mal » qui tourmentait la philosophe Hannah Arendt et que l'on refoule, refuse, ou pire encore, que l'on nie.

Et pourtant, tout en révélant l'horreur nazie, votre témoignage - par certaines photos choisies et proposées (vos photos les plus récentes) – ainsi que votre idée directrice (voir ci-dessous) tendraient à nous inciter à ne pas désespérer jusqu'au bout de notre humaine condition et de « la » civilisation. Grâce à vos documents nous savons, ou nous pouvons nous rappeler, que des femmes et des hommes ont accepté de mourir pour résister à cette « peste brune » qui a failli engloutir « notre » civilisation européenne.


Mais voici votre blog et son avant-propos


http://kz2007.over-blog.com/


« Nous vous présentons en images une partie de ce qui peut encore être vu là-bas, en Haute-Autriche, où des milliers d' Européens ont souffert pour avoir eu le courage de résister au nazisme. »

Parmi les photos de votre blog, j'en avais copié une qu'il m'est impossible de coller ici et que j'avais choisie parce que, de tout temps, je me suis posé la question et je me la pose toujours – je vais avoir 60 ans au mois de mars - si moi-même je n'aurais pas pu être un « salaud » et, pire que ça encore, un tortionnaire. Et là non plus ce n'est pas du bavardage ou, alors, tout est bavardage, y compris vos photos. Car je crois avoir suffisamment dit, sur mon blog, combien cette face sombre, maudite, relève de notre humanité. Et non pas de cette animalité « inventée » qui serait en nous, et qui est une façon perverse, selon moi, de nier cette spécificité humaine qui fait que l'on peut être en droit de désespérer tout le temps de soi, j'ai bien dit : de soi – car désespérer des autres est trop facile, trop veule, et ça nous disculpe à bon compte : moi, jamais ! Les autres, peut-être ...

Et si j'écris cela c'est justement parce que je demande toujours à ce que l'on pose les questions jusqu'au bout, jusqu'au malaise, jusqu'au mal être – et je sais, je choque en cours mes étudiant(e)s quand je leur dis : peut-être que moi-aussi j'aurais pu être du côté des « salauds ». Et je les choque d'autant plus qu'à ce moment-là, certains – une petite, très infime minorité hélas – se disent : et nous ? Et ça, est-ce du bavardage ? Si oui, alors tout relève du bavardage. Et la Shoah également ne serait que bavardage, ce qu'affirment les négationnistes. Et les photos que du « bidonage ».

L'histoire nous a montré les ravages que peut faire la raison – et la morale et la religion – quand elle est instrumentalisée et sert à justifier l'inexcusable – qui est toujours la haine de l'autre. Et votre histoire personnelle, celle de vos proches, en est la preuve la plus terrible. Mais est-ce salutaire et sain d'en vouloir à tout le monde et de tout confondre ?


Des mots, des maux ?


J'avoue, en effet, que je ne saisis pas le sens des mots que vous utilisez : « je me régale à l'avance de lire vos explications à mon action » et « j'ai hâte de vous lire et de comprendre le sens de mon action ».

Pensez-vous un instant que, face à de telles photos-témoignages, je puisse éprouver un sentiment de désinvolture – comme pourrait le laisser supposer le verbe « régaler » ? Pensez-vous également que je sois autorisé à porter un jugement sur votre action? La seule chose qui est de ma compétence - petite, toute petite - est de questionner vos photos et de me dire, comme je l'ai déjà écrit ci-dessus : comment peut-il y avoir, en chaque être humain, une telle part maudite ? Et moi, qu'aurais-je fait ? Aurais-je été un héros ou un salaud ? Et, en même temps, certaines de vos photos montrent qu'il n'y a pas que des salauds : des femmes, des hommes sont morts pour défendre une autre idée de la civilisation. Alors je me dis, pour me rassurer : j'aurais peut-être été de leur côté !

Il est vrai que, parfois, mon blog – dédié à la culturé gé dans les concours de la fonction publique – peut donner l'impression que je donne des leçons. Mais il ne s'agit que d'un besogneux labeur de prof qui essaye de préparer les étudiant(e)s à réussir un concours, et dont les seules et uniques leçons concernent ce qui relève – un peu, beaucoup – de sa compétence, à savoir apprendre à questionner le sujet, à penser par soi-même, en se gardant le plus possible de la « pensée du sens commun », celle des stéréotypes et autres préjugés, celle qui affirme qu'il y a des « sous-hommes » et qu'il faut pratiquer « l'épuration ethnique ». Voilà d'ailleurs pourquoi je dis sans cesse, sur mon blog, que ce que j'écris doit être en permanence questionné ... et remis en cause ! Et voilà aussi pourquoi j'ai mis en exergue cette phrase superbe de Rabbi Nahman de Braslav :



« Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît car tu ne pourras pas t'égarer ... »



Alors, vous-aussi, ne demandez pas votre chemin, inventez-le. Simplement, tout simplement, et cela dit avec beaucoup d'empathie, je vous proposerai de suivre jusqu'au bout le conseil de Nahman de Braslav en allant du côté de ces grands penseurs et philosophes juifs qui ont fait et qui font toujours le sel de cette humanité si désespérante. Ce serait le plus bel hommage que vous pourriez rendre aux vôtres : faire connaître une pensée qui n'est pas morte, malgré les atroces souffrances, et qui est toujours là, bien vivante, en train de se faire.

Alain Laurent-Faucon


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P
Si vous aviez le temps de poster un commentaire sur une des pages de mon blog (que je travaille avec constance)<br /> <br /> j'y trouverai alors votre adresse mail<br /> <br /> merci d'avance - cordialemnt
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A
Oui, c'est une bonne idée à laquelle je n'avais pas songé ... tant les procédures électroniques ne me sont pas familières ! Je vais donc poster un commentaire sur votre blog. ALF
P
je suis très sensible à votre empathie<br /> <br /> merci<br /> <br /> a) il y a eu 2 messages parce que j'ai cru que le premier n'était pas passé<br /> <br /> b) pouvons nous communiquer de manière moins publique ?
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A
Petit-Fils,Comme les mots n'étaient pas tout à fait les mêmes d'un message à l'autre, j'avais pensé qu'il y avait réellement deux messages et qu'il fallait lire "entre les blancs et les noirs" de chaque texte, comme disent les herméneutes juifs, afin d'approcher ce qui se dit sans se dire ! Les réflexes pervers pépères d'un vieux prof, en somme !!!Bien sûr, nous pouvons continuer à discuter ailleurs que sur le blog - par courriers électroniques par exemple. Il faudrait alors que vous me donniez votre mail afin que je puisse vous écrire et vous communiquer le mien.Je suis soulagé de constater que ma réponse correspondait peut-être un peu à vos attentes - tant il est délicat de trouver le ton et les mots justes parfois.Très cordialement,alain laurent-faucon