INTELLOS : LA POSITION COUCHÉE ?

Publié le par alain laurent-faucon




L’été, dans la presse, c’est l’heure des « marronniers », nous en avons déjà parlé, mais c’est aussi, pour qui prend le temps de lire, l’heure des belles pépites, ces courriers de lectrices et de lecteurs qui se font plus humoristiques, plus acides ou amers [1], et c’est, également, l’heure des règlements de compte, des phrases assassines : sous le sable et les parasols, les pavés jetés dans la marre ou le marigot des intellos.

 

« Les trahisons sont trop fréquentes, l’atmosphère générale est à la laideur intellectuelle », constate, dans La noblesse de l’esprit, l’écrivain hollandais Rob Riemen, qui cite une réflexion du poète, romancier et essayiste britannique, sir Stephen Spender, très engagé dans l’action pour la justice sociale et connu pour ses idées sur la lutte des classes. Anne Crignon, dans le Nouvel Observateur, propose quatre extraits de La noblesse de l’esprit. J’en ai choisi deux, reproduits ci-dessous.

 

Dans Libération, Laurent Joffrin a eu l’audace de parler de « L’agence France-frousse » pour évoquer l’Agence France Presse – AFP. Et cela a provoqué quelques haut-le-cœur indignés. Hé ! Hé ! C’est toujours d’un excellent comique quand certains journalistes jouent les vierges effarouchées. Ce qui ne signifie nullement que la plupart d’entre eux ne soient pas intègres ou qu’ils ne fassent pas convenablement leur métier. Mais les bidonnages, flagorneries et autres silences coupables existent aussi, nous en avons toutes et tous en mémoire, hélas. Et il n'est pas dit que l'audace de Joffrin ne soit pas simplement un coup médiatique pour faire parler de lui et de son quotidien. 

 

Marianne, dans le numéro 642 (du 8 au 14 août 2009), a fait l’inventaire des « arnaques médiatiques de l’été 2009 » - et la journaliste Stéphanie Marteau, responsable de l'enquête, constate :



« Deux mensonges colportés par semaine. En cause : la grave négligence de certains journalistes. Toujours prompts à vendre du papier, faire pleurer dans les chaumières, caresser l’opinion publique dans le sens du poil. La réalité ? Un détail … »



 

Mais revenons aux reproches formulés par Laurent Joffrin à l’encontre de l’AFP. Dans le Monde, daté du mercredi 12 août 2009, le journaliste Daniel Psenny, écrit :



« La polémique sur le rôle de l’AFP, dont les recettes proviennent à hauteur de 40% de l’État, est récurrente. […] Plusieurs journaux (qui reprennent les dépêches de l’AFP via le paiement d’un abonnement) grincent des dents lorsqu’ils ne sont pas cités par l’agence après avoir sorti une information. Et, aujourd’hui, ce sont les sites Internet d’informations en ligne qui se plaignent que l’AFP ne reprenne pas leurs scoops, notamment sur des sujets délicats. »


 

Je me pose une question que je vous pose également : et si, finalement, toutes ces incriminations relevaient du vieil adage « qui aime bien châtie bien » ? Car, nous devons bien l'avouer, nous avons autant besoin des journalistes que des intellectuels. Mais voilà, ce qu'on leur demande, c'est de pouvoir d'abord leur faire confiance, c'est qu'ils nous éclairent  ensuite sur l'existence et non qu'ils se haussent du col, qu'ils fassent, selon la belle métaphore des Ivoiriens - notamment les Baoulés - « long cou » ou « gros dos ». Ce qu'ils font souvent, fascinés par LE pouvoir et LEUR pouvoir. Au risque de perdre leur âme et ... notre confiance. Comme le personnel politique d'ailleurs. C'est l'arroseur arrosé !



Devraient tous lire Michel de Certeau [2] pour comprendre, enfin, que dès que ça ment, dès que ça veut manipuler, l'on se met à braconner. L'historien Roger Dupuy, dans La politique du peuple, a montré que le peuple, entendons vous et moi, par des voies détournées, des chemins de traverse, des réactions apparemment incompréhensibles a, lui-aussi, une politique, sa politique. Au risque d'utiliser – d'instrumentaliser ? - le populisme cher à ces politiciens qui cherchent à surfer sur la vague en croyant manipuler. Un jeu de dupes [3].



Observez combien le mensonge, le faux témoignage sont mal perçus, condamnés par toutes les morales, religieuses ou laïques. Tout groupe humain, toute société vit sur la confiance, impossible de faire autrement. Si j'écris quelque chose sur ce blog, instinctivement vous me croyez. Du coup, si je vous mens, invente des histoires, c'est automatiquement le rejet et le discrédit. Il en va de même dans nos rapports amoureux ou familiaux. Ou dans nos rapports avec les journalistes et les intellectuels. Ce qui justifie tous ces reproches et ce, d'autant plus qu'ils sont, hélas, trop souvent justifiés.

 


L’écrivain roumain Constantin Toiu, dans un roman prodigieux, un chef d’œuvre, L’exclu, rappelait, au plus fort de la dictature de Ceausescu, que l’être humain ne devait jamais oublier qu’il était doté d’une colonne vertébrale qui lui permettait de rester droit, fier, - seul s’il le fallait ; une colonne vertébrale qui lui interdisait de se coucher devant les pouvoirs, le « on » de la pensée dominante. Cette pensée molle et paresseuse – quand elle n'est pas simplement calculatrice : l'autre me sert-il ? Rares, très rares, sont les journalistes et les intellos qui ont lu L'exclu.

 




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NOTES :


[1] Cf. PENSER, C’EST BRACONNER ! et CULTURE GÉ, BURQA, ESPRIT CRITIQUE

[2] Cf. PENSER, C’EST BRACONNER !

[3] DUPUY Roger, La politique du peuple. Racines, permanences et ambiguïtés du populisme, Bibliothèque Albin Michel Histoire, Paris, 2002.





REVUE DE PRESSE

 

 


 


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La trahison des intellectuels





Par Rob Riemen (Écrivain)

 

 

 

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©Robert-Goddy/UPAPhotos

Essayiste, Rob Riemen est le fondateur et président de l'Institut Nexus, centre international de réflexion qui a pour vocation d'alimenter le débat philosophique et culturel occidental.

 

 

S'il reste encore un intellectuel pour croire à la noblesse de l'esprit, c'est bien lui. Il est hollandais. Il s'appelle Rob Riemen. A l'heure du relativisme des valeurs et du nihilisme, lui rend hommage à ces grands hommes que furent Socrate, Goethe ou Camus. Grands justement par cette noblesse de l'esprit, dignité oubliée chère à Spinoza. Thomas Mann lui-même disait que là où disparaît cet idéal disparaît la civilisation.

Anne Crignon

 



***



 

« Grand est le manque d'intégrité intellectuelle. Grande est la trahison des intellectuels. Sont-ils étonnants, ces manquements de la civilisation occidentale ? Pourquoi ? Pourquoi ce nihilisme ? Pourquoi cette trahison de la noblesse de l'esprit ? La tentation du pouvoir est une première raison : être enfin influent, être enfin écouté, voire admiré. Rien ne rend plus dépendant que le pouvoir et la gloire.

Et pour les conserver, pour rester l'idéologue d'un parti ou un leader d'opinion, un porte-parole du « on », il faut en permanence s'adapter. S'il est un endroit où règne le conformisme, c'est bien chez les intellectuels politisés. Perdre en pouvoir et en influence en faisant montre d'indépendance d'esprit, voilà qui ne peut qu'emplir ces réalistes d'effroi.

Pour le pouvoir politique, on abandonne le monde de l'esprit. L'excuse étant qu'il ne s'agit pas d'interpréter le monde, mais de le changer ! Finissons-en avec l'injustice ! Mais, comme le remarque avec justesse Benda dans son traité sur la trahison des clercs, de grands esprits tels qu'Érasme, Spinoza ou Kant sont toujours restés fidèles à l'esprit et à leur propre indépendance. Ils n'avaient pas l'orgueil de vouloir libérer l'humanité de tous ses maux, mais ils sont restés fidèles à leur obligation de faire perdurer la conscience de ce qui est bon. La connaissance du bien et du mal, la conscience des valeurs et de la dignité étaient préservées. N'est-ce pas là une justification suffisante à l'existence des intellectuels ? Pour beaucoup d'entre eux, apparemment pas : « De nos jours, les écrivains sont exposés à une nouvelle tentation : celle de pouvoir vivre largement en donnant leur sentiment sur des sujets dont ils ne savent rien », observait Stephen Spender en 1951. Quelque chose a-t-il changé depuis ? »


 

***



« Socrate ! Où es-tu passé ? Il est chez ses amis et n'en a pas encore fini. Car eux non plus ne croient pas à la thèse selon laquelle les philosophes doivent être rois en leur pays. Ils connaissent trop d'intellectuels pour cela. Mais Socrate explique que seul le vrai philosophe peut être roi, parce qu'il est, par nature, « doué de mémoire, de facilité à apprendre, de grandeur d'âme et de bonne grâce et est ami et comme parent de la vérité, de la justice, du courage et de la tempérance ». D'accord, rétorquent ses amis, en théorie, c'est à cet honnête homme qu'il faudrait confier le gouvernement de la cité, mais les faits infirment la théorie. La plupart des intellectuels sont, à proprement parler, corrompus. Et ceux qui ont les caractéristiques que Socrate attribue au vrai philosophe sont considérés comme de tels excentriques par la société qu'en aucun cas, son gouvernement ne leur écherra. Socrate est tout à fait d'accord avec cela. Cependant, le but de sa vie, la connaissance de la sagesse, est surtout discrédité par ceux-là mêmes qui en font profession :

« Ils font grand tumulte en public et sans savoir ce qui est bon ou mauvais, juste ou injuste, se conformant dans l'emploi de ces termes aux instincts du grand animal, la foule, appelant bon ce qui le réjouit, et mauvais ce qui l'importune. Par ces paroles vides, pleines de suffisance et d'orgueil, toujours orientées vers ce que la foule veut entendre, ces gens-là obtiennent tout le pouvoir. »



©NiL éditions


« La Noblesse de l'esprit, un idéal oublié », par Rob Riemen, NiL, 192 p., 17 euros. Traduit du néerlandais par David Goldberg. Préface de George Steiner.

 







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http://www.liberation.fr/

 

Libération - 7 août 2009



L'agence France-frousse


par Laurent Joffrin, directeur de Libération


L’Agence France-Presse aurait-elle soudain peur des pouvoirs ? Cette institution dont on connaît pourtant la qualité professionnelle des journalistes vient de faire preuve d’une pusillanimité, pour ne pas dire d’une complaisance, qui tranche avec sa longue tradition d’indépendance.

Cette étrange timidité s’est manifestée par trois fois au moins : quand Libération a rendu compte d’un déjeuner pendant lequel le Président a tenu sur ses homologues, notamment sur José Luis Zapatero, des propos expéditifs en présence d’une délégation de parlementaires et que l’affaire a débouché sur une polémique nationale en Espagne et en France ; quand Libération a décrit l’ampleur des pertes subies par une filiale de la Société Générale ; enfin quand, avant-hier, Libération a révélé le montant des bonus distribués à ses traders par la BNP. Dans ces trois cas, l’Agence a commencé par passer sous silence les informations de notre journal, puis elle les a reprises tardivement et au conditionnel ou bien elle les a noyées dans les démentis officiels.

Pourtant, la première fois, les propos du Président ont été confirmés par nos confrères qui se sont donné la peine de vérifier nos informations au-delà des démentis de convenance. Et les deux autres fois, après les dénégations initiales, les organismes concernés ont admis, à retardement, que nous avions raison sur les faits (ils ont contesté leur interprétation, chose parfaitement légitime).

Il ne s’agit pas de demander, à l’instar de Frédéric Lefebvre, le roquet inconséquent de l’UMP, la publication automatique des informations diffusées par Libération, ce qui serait ridicule. On peut en revanche demander à l’Agence, qui a pour fonction d’aider les journaux et non d’entraver leur travail, de mener sa propre enquête et d’en rendre compte. Au lieu d’adopter cette démarche journalistique, l’AFP a préféré par trois fois s’en tenir à la publication complaisante et immédiate, comme sur commande, des démentis officiels. Autrement dit, il apparaît que la parole d’un attaché de communication d’une banque ou d’un gouvernement vaut infiniment plus, à ses yeux, que celle de journalistes professionnels travaillant pour un quotidien indépendant. Dans ce système, si Libération écrit que la Terre est ronde et si l’Élysée déclare qu’elle est plate, l’AFP publiera d’abord le démenti élyséen, ou bien mettra à égalité les deux communiqués sans prendre parti ou, au mieux, elle laissera entendre que la vérité se situe entre les deux.

Ce comportement n’est pas sans incidence civique. L’AFP jouit, à juste titre, d’une grande crédibilité auprès des autres médias. Ils attendent souvent qu’elle reprenne des informations pour s’en saisir à leur tour. Or une information n’a pas le même poids à chaud ou bien une fois les affaires retombées et l’attention publique appelée ailleurs. Le jeu des pouvoirs consiste à cacher les informations gênantes et, quand cette dissimulation est impossible, à les retenir ou à les relativiser jusqu’à ce qu’elles n’aient plus d’importance. L’AFP, dans les trois exemples cités, s’en est faite l’auxiliaire. Est-ce une nouvelle politique ? Ou bien s’agit-il de manquements isolés qui seront vite corrigés ? La réponse ne sera pas sans conséquences sur la qualité du pluralisme de l’information en France.

 

 

Libération – 10 août 2009

 


« Agence France-Frousse » : l'AFP nous répond



Le directeur de l'information de l'Agence répond à la tribune de Laurent Joffrin, qui lui reprochait sa pusillanimité dans la reprise de plusieurs scoops de Libé.


Par PHILIPPE MASSONNET directeur de l’Information de l’Agence France-Presse.


 

Vous avez publié le 7 août un article intitulé «L’agence France-frousse». Vos propos sont insultants pour les journalistes de l’AFP qui, souvent, risquent leur vie aux quatre coins de la planète pour que le pluralisme de l’information existe. L’un d’eux est actuellement en prison. Vous vous attardez sur trois cas, pris parmi des centaines de dépêches que nous diffusons quotidiennement, pour nous reprocher notre «complaisance».

Pêle-mêle, vous nous accusez directement ou indirectement d’agir «sur commande», voire «d’entraver» votre travail, d’avoir des «manquements». Libre à vous de juger la qualité du travail de l’AFP et la manière dont elle recoupe les informations. Cela ne vous autorise pas à tenir des propos injurieux visant ses journalistes qui, à lire votre titre, manqueraient de courage.

Oui, l’AFP doit vérifier les informations. Ce n’est pas une politique nouvelle de la rédaction. C’est une règle de base de toute agence de presse, une obligation fondamentale par ces temps d’hyper-communication. Oui, l’AFP reprend parfois les informations des confrères. Mais parfois, elle se refuse à le faire. Et elle a raison. Dans l’affaire des bonus BNP Paribas, Libération a d’ailleurs été cité. Alors pourquoi tant d’agressivité dans votre article ? Pourquoi ces formules au vitriol ? Pourquoi ce titre injurieux ? Pas plus hier qu’aujourd’hui, l’AFP n’a peur des pouvoirs, quels qu’ils soient et où qu’ils soient. Les milliers de journalistes de l’AFP ne sont pas des froussards.


Réponse de Laurent Joffrin


Mon article, polémique il est vrai, porte sur trois affaires précises et circonscrites qui en font tout le contenu (et sur lesquelles l’AFP s’abstient encore une fois de répondre). Pour cette raison évidente, il n’attaque en rien l’ensemble des journalistes de l’AFP, pour lesquels j’éprouve le plus grand respect, comme je l’ai écrit au début du texte. A moins de considérer que toute critique est illégitime et que l’AFP est infaillible…

 



Libération – 10 août 2009

 


Joffrin remercié d'avoir « secoué le cocotier » de l'AFP



Le syndicat SNJ-CGT de l'agence de presse réagit au récent éditorial «L'agence France-frousse» du directeur de «Libération».

Dans un communiqué publié lundi, le SNJ-CGT de l'AFP estime que Laurent Joffrin, dans sa tribune de vendredi, pose «une vraie question de fond : celle de l'indépendance de l'AFP à l'égard de tous les pouvoirs et de sa contribution au pluralisme de l'information».

Laurent Joffrin a reproché à l'AFP de ne pas avoir relayé trois informations potentiellement gênantes pour le pouvoir en place, la dernière en date étant les bonus provisionnés à destination des traders de BNP-Paribas. Ce qui, aux yeux du directeur de «Libération», traduisait une «étrange timidité» voire une certaine «complaisance».

«Le traitement, à ses débuts en tout cas, réservé par l'AFP à cette affaire, à la demande ou avec l'aval de la rédaction en chef, donne immanquablement le sentiment que nous avons cherché à protéger BNP-Paribas, en tout cas à ne pas la mettre dans l'embarras», juge le syndicat.

La direction «aurait été bien inspirée de reconnaître une sérieuse défaillance dans cette affaire, plutôt que de "couvrir" un manquement grave à l'efficacité et à la déontologie professionnelles», d'autant que sur les informations concernant la Société Générale et  Zapatero, «Laurent Joffrin a tort», ajoute le SNJ-CGT.

Remerciant le directeur de Libération d'avoir «secoué le cocotier», le syndicat s'inquiète des conséquences du projet de réforme du statut de l'AFP sur l'indépendance de l'Agence.

L'AFP a par ailleurs répondu, par la plume de son directeur de l'information Philippe Massonnet, à la tribune de Laurent Joffrin, dénonçant «ses propos insultants». «Pas plus hier qu’aujourd’hui, l’AFP n’a peur des pouvoirs, quels qu’ils soient et où qu’ils soient. Les milliers de journalistes de l’AFP ne sont pas des froussards.»

(Source AFP)

 

 

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droit de suite

Tribune de Joffrin sur l'AFP :


les syndicats en rajoutent une couche


Par Rue89 Droit de suite | 12/08/2009 | 15H31

 


Avec sa tribune titrée « L'agence France-frousse » et publiée vendredi dans Libération, Laurent Joffrin peut se vanter d'avoir semé une belle pagaille. Dans des communiqués publiés depuis, deux importants syndicats de journalistes de l'AFP, le SNJ et le SNJ-CGT, prennent le contrepied de la réponse de leur direction.

Par ailleurs, le SNJ national s'interroge même sur l'« opportunité » de cette tribune, au moment où le gouvernement remet en cause le statut de l'agence.

Evidemment, les deux syndicats insistent avant tout sur ce dernier point : l'AFP est menacée par cette réforme, prévue pour septembre, qu'ils appellent à contester en signant la pétition mise en ligne sur le site SOS-AFP.org.


Pour le reste, leurs communiqués ne sont pas tendres avec leur direction, et reviennent à confirmer, de manière plus ou moins claire, le fond des propos du patron de Libé sur le manque d'indépendance de l'agence vis-à-vis des pouvoirs.


Petit rappel des faits : dans sa tribune, Joffrin se plaignait que l'agence France-Presse, l'une des trois agences de presse d'envergure mondiale et la principale source des médias français, ait mal relayé trois scoops de Libération.



« Jugements hiérarchiques

marqués au coin des ambitions et de la servilité »



Premier syndicat dans l'ensemble de la profession comme à l'AFP, le SNJ regrette, dans un communiqué du SNJ-AFP, « le ton » employé par Joffrin :


« Les journalistes de l'Agence font chaque jour preuve d'un énorme courage dans les endroits les plus dangereux et les plus difficiles du monde, sans en tirer ni revenus, ni gloire “people”, comme certains de ceux qui utilisent leurs dépêches sans rien risquer.
Il est tout aussi inadmissible d'accuser les agenciers, prudents par nature, d'une éventuelle connivence avec la BNP ou la Société générale et inacceptable de ressortir l'affaire des propos de Sarkozy sur Zapatero qui, hors volonté polémique, ne prêtaient pas à l'interprétation qui en a été faite par Libération.
Mais il ne s'agit pas pour autant de se dédouaner de toute responsabilité sur plusieurs incidents rédactionnels et certains jugements pour le moins déséquilibrés que le SNJ n'a pas manqué de pointer ces derniers mois.
Certains ont été dus à des manques d'effectifs (or la direction cherche encore à les réduire ! ), d'autres à des jugements hiérarchiques effectivement marqués au coin des ambitions et de la servilité. »



« Joffrin pose une vraie question, de fond :
celle de l'indépendance de l'AFP »



Troisième syndicat à l'AFP (derrière la CFDT), le SNJ-CGT titre son communiqué « Affaire Libération / AFP : il n'y a pas de fumée sans feu ! ». Le texte fourmille de détails. Il relève que deux des trois exemples choisis par Joffrin sont erronés (sur la Société Générale, l'information « ne s'est pas révélée exacte », et sur les propos de Sarkozy, Joffrin n'a « pas compris »). Mais là n'est pas l'essentiel :


« Laurent Joffrin pose une vraie question, de fond : celle de l'indépendance de l'AFP à l'égard de tous les pouvoirs. […]
Que l'AFP cherche à vérifier, aussitôt connue, la véracité d'une information publiée par un média, quoi de plus normal. Qu'elle retienne pendant douze heures une info de nature à faire la Une de l'actualité (en l'occurrence, la constitution par la BNP-Paribas d'une provision d'environ un milliard d'euros à distribuer à ses traders pour 2009) en est une autre. […]
Le traitement - à ses débuts en tout cas - réservé par l'AFP à cette affaire, à la demande ou avec l'aval de la rédaction en chef, donne immanquablement le sentiment que nous avons cherché à protéger la BNP-Paribas, en tout cas à ne pas la mettre dans l'embarras. Il est indigne des principes journalistiques de l'agence.
Quand il s'agit de la couverture des questions sociales ou de société -immigration, sans-papiers- entre autres, la redchef France se montre autrement soucieuse d'“équilibre”, au point de disséquer d'un oeil soupçonneux tout ce qui s'écrit sur ces sujets ! »


Seul le SNJ national, dans un communiqué non publié sur son site, semble voir des motifs politiques dans la tribune de Laurent Joffrin :


« Là où l'on peut légitimement s'interroger, c'est sur le ton et l'opportunité de cette tribune […].
Le discrédit jeté ainsi sur le travail des journalistes de l'AFP semble rejoindre les objectifs beaucoup moins nobles, de celles et ceux qui veulent changer le statut original de cette agence. »


L'explication, plus prosaïque, se trouve peut-être dans « la politique de “coups” journalistiques qu'il a inaugurée depuis son arrivée à la direction de l'un des titres-phare de la presse parisienne », à laquelle fait allusion le SNJ-CGT. Voir à ce sujet le slogan de l'encart d'abonnement, en page 21 de Libé d'aujourd'hui :


« Le scoop Libé, une marque de fabrique. »

Augustin Scalbert



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