CHARLIE / PAS CHARLIE BLASPHÈME ET NON DIT

Publié le par alain laurent-faucon - alf - andéol

Il importe de toujours tenir ensemble et en tension les deux propositions communément entendues « JE SUIS CHARLIE / JE NE SUIS PAS CHARLIE », puisque cette tension des opposés est au cœur de tout débat politique, social, existentiel, sociétal (le vivre ensemble), ou, dit autrement, d’un véritable débat démocratique, car il convient de respecter autrui et de ne point offenser inutilement celles et ceux dont la foi et ses manifestations ne correspondent pas à nos modes d’être et de penser.

Cette tension des opposés, si bien décrite au temps du premier matin grec par Héraclite, repensée par Maïmonide (le concept d’amphibologie) puis reformulée par Proudhon (contestant l'approche hégélienne et marxienne), cette tension doit absolument être prise en compte si l’on veut échapper à la catégorie philosophique de la bêtise. Dans ce genre de débat contradictoire, il n’y a pas de « c’est comme ça », d’un « point c’est tout » ; il n’y a pas de « dernier mot », tout est toujours en tension, et toute réponse qui se voudrait définitive ne serait que fermeture contestable, voire dangereuse.

Le compte-rendu proposé dans le mensuel Sciences Humaines est absolument remarquable. A LIRE ET A MÉDITER quel que soit le sujet tournant autour de la liberté d’expression, du droit de tout dire ou de se moquer de tout. A LIRE ET A MÉDITER également quel que soit votre point-de-vue, afin de pouvoir le nuancer intelligemment sans verser dans le prêt-à-penser et/ou le dogmatisme.

 

 

Blasphème : tout est permis ?

Nicolas Journet

Mis à jour le 03/03/2015

 

Sous couvert d’humour, jusqu’où peut-on offenser les croyances d’autrui? Cette question était au cœur d’un colloque à Paris.

 

«Le blasphème n’est pas dans notre droit, il ne le sera jamais», déclarait le Premier ministre Manuel Valls en janvier dernier. Pour ce qui est de son absence actuelle du code pénal, c’est exact, à un détail près : ce délit figure nommément dans le code d’Alsace-Moselle hérité du droit allemand, sans avoir été sanctionné, il est vrai, depuis… 1954. À cet égard, la France fait un peu exception, même en Europe : le blasphème a une existence juridique en Irlande, en Grèce, en Italie et sous des formulations proches, en Allemagne, au Danemark, en Pologne, en Espagne et au Portugal. 


Pour autant, peut-on, en France, rendre public n’importe quel propos ou image insultant, méprisant ou ridiculisant une croyance, un symbole religieux, une figure divine ? Ce qui est la définition du blasphème. Certes non, comme l’ont expliqué les deux juristes Élie Guerrero et Camille Viennot au cours du colloque « Rire et religions » tenu à Paris les 1er et 2 février derniers. C. Viennot relevait, depuis 1980, une quarantaine de plaintes déposées en France par des autorités religieuses ou des groupes de croyants contre des affiches, des films, des œuvres d’art, des pièces de théâtre, des tracts, des publicités, des caricatures ou des dessins humoristiques, au motif qu’ils offensaient leur foi et par voie de conséquence eux-mêmes. Quelle a été l’issue de ces plaintes ? Tout le problème est que la répression du blasphème (même non nommé) est prise entre deux feux, deux grands principes, fixés dans la loi en France dès 1881 : d’un côté, la liberté d’expression, de l’autre, le respect dû aux croyances de chacun.



L’embarras des juges


 

Les dispositions civiles et pénales qui ont pu en découler s’en tiennent cependant à protéger, comme dans les cas de diffamation ou d’injure, les personnes et non les symboles. D’où la difficulté à arbitrer, et le grand embarras des juges pour identifier la cible, et caractériser les délits s’il y a lieu, tout en protégeant la liberté d’expression. Certains cas cités par C. Viennot témoignent de leurs divergences de vues : en 2004, un tract de l’association Aides proclamant «Sainte capote, protège-nous» fut assigné en justice. Les auteurs sont d’abord relaxés, puis condamnés en appel pour injure à la communauté catholique, et deux ans après, à nouveau relaxés en cassation… Les caricatures, la satire de presse reçoivent un traitement un peu à part, car l’intention humoristique, bien tolérée par les juges en politique, l’est aussi en matière de religion. Un peu moins tout de même : en 1997, Charlie Hebdo, qui avait représenté un « commando anti-bon dieu » déféquant dans un bénitier, a été condamné pour incitation à la haine. A contrario, à propos les dessins du prophète Mahomet publiés par France-Soir, puis par le même Charlie en 2006, aucune des plaintes déposées par des autorités musulmanes n’a été jugée recevable, malgré les violents désordres soulevés dans le monde par ces caricatures. Or, soulignait E. Guerrero, le code pénal prévoit de lourdes peines pour qui provoque des troubles à l’ordre public par des propos ou des écrits insultants. «Quand l’intention est humoristique, précisait C. Viennot, la protection de la liberté d’expression passe souvent devant les sentiments des croyants qui s’estiment visés.» Mais on aurait trop vite fait de déclarer que cette liberté règne sans partage : même s’il n’en porte pas le nom, le blasphème est de toute évidence parfois sanctionné en France. Et, ajoutait-elle, il existe d’autres sortes de propos délictueux, tels que l’apologie du terrorisme, qui eux ne passent jamais entre les mailles du filet, même si c’est soi-disant « de l’humour »

Cet article est tiré du Mensuel N° 269 - avril 2015 - Vieillir : pour ou contre ?

 

 

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