C’EST QUOI, ÊTRE FRANÇAIS ? [2]

Publié le par alain laurent-faucon

 
 

 
L'identité nationale « mise à nu » par la prise de parole des « Noirs de France » et des « Français issus de l'immigration ». Une première approche, essentielle, à travers deux "points de vue" parus dans l'édition "papier" du journal le Monde et un "chat" provenant de l'édition électronique du même quotidien - cf. le Monde

 




DOSSIER DE PRESSE






Points de vue et chat tirés du "Monde"



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Point de vue

 

La France et l'immigration : la fin d'une époque
par Smaïn Laacher, sociologue au Centre d'étude des mouvements sociaux (CNRS-EHESS) 

LE MONDE | Article paru dans l'édition du 18.07.07.

Le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement n'ouvre pas sur une nouvelle période mais, bien au contraire, traduit la fin d'une époque, celle où la droite française ne pensait l'immigration qu'en termes de répression. Aujourd'hui, à ce volet policier sont raccordées une gestion internationale des flux migratoires et l'ouverture à la "diversité" aux plus hautes fonctions de l'Etat. Cette configuration n'est nullement spécifique à la France. Elle est maintenant quasi générale dans l'ancienne Union européenne des Quinze.

Ce ministère de l'immigration ne fait au fond que centraliser ce qui existait déjà sous l'autorité de différentes administrations. Après tout, un ministère de l'immigration et de l'intégration n'eût été infamant pour personne. Nous n'aurions été ni les seuls ni les premiers en Europe, sans que l'existence d'un tel ministère fasse du continent européen un espace d'Etats racistes. C'est l'apparition et l'insertion de la thématique de l'"identité nationale" constituée comme enjeu d'Etat susceptible d'une gestion politique et bureaucratique qui a créé la surprise et, à juste titre, l'indignation.

Mais à quoi renvoie, pour ce ministère, l'identité nationale ? La réponse n'est pas difficile à trouver. Pour dire les choses rapidement, l'Etat a la charge, et depuis longtemps, de l'identité nationale, sans pour autant que cela soit stipulé et codifié comme tel : tout simplement en permettant sous certaines conditions l'inclusion de l'autre chez soi. Par quel moyen ? En usant légitimement du monopole des conditions juridiques et symboliques d'accès à la nationalité française. Mais alors, pourquoi avoir objectivé sous forme de souci d'Etat officiel la protection de l'identité nationale ? Parce que c'est par l'accueil des nouveaux venus dans l'ordre national, et donc dans leur nouvelle nationalité, que vient se loger et se traduire pour l'actuel gouvernement la défense nationaliste de l'identité nationale.

DÉCOMPLEXER LA DROITE

Devenir le national d'une nation par la naturalisation, à y regarder de près, relève non pas tant du langage du droit que du langage de l'honneur et de la puissance : c'est un honneur qu'il faut mériter et dont il faut prouver, avant et après, qu'on l'a bien mérité. Celui ou celle qui se voit attribuer la nationalité française est ainsi honoré par cette nouvelle qualité et cette nouvelle dignité. C'est exactement la même logique politique et symbolique qui préside à l'exercice du droit d'asile et à l'octroi du statut de réfugié.

Trois raisons peuvent contribuer à expliquer sa création effective. Tout d'abord, une remise en cause culturelle par les forces de droite de leurs schèmes de perception dans les domaines de l'immigration, de la nation et de l'autorité institutionnelle. La Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) doit en grande partie son existence à la ténacité de Jacques Toubon, ancien ministre de droite. Ensuite, c'est-à-dire en face, la gauche et l'extrême gauche sont installées depuis des années dans un vide réflexif sidérant quant à ces mêmes problématiques, ainsi que celles de la mondialisation des flux migratoires et de la question nationale. Leur discours dominant demeure celui de l'indignation et de l'imprécation.

Enfin, et cette réalité n'a jamais été examinée, l'élite issue de l'immigration, celle insérée depuis une vingtaine d'années dans les appareils, les cabinets ministériels et les cercles confidentiels de réflexions, a sans aucun doute grandement contribué à décomplexer la droite en matière d'immigration, d'appartenance nationale, de moeurs et de religion. Rachida Dati et Rama Yade, que tout sépare de Tokia Saïfi et d'Azouz Begag, en sont la traduction la plus éclatante. Rachida Dati est membre de l'Institut Montaigne, du club Le Siècle et fondatrice du Club du XXIe siècle, dont Rama Yade est une des animatrices. Autant d'espaces fermés de socialisation politique et de rencontres providentielles.

Mais de même, au sein de ce gouvernement, tout sépare le parcours de ces deux femmes d'avec celui de Fadela Amara (type de scolarisation, appartenance politique, etc.). Cette dernière est la seule des trois femmes issues de l'immigration à avoir eu un parcours politique à gauche. On aurait tort de mobiliser la grille inopérante de la fascination du pouvoir et de la carrière pour expliquer sa présence au côté de M. Sarkozy. En tout état de cause, son ralliement n'a strictement rien à voir avec celui de M. Kouchner, de M. Bockel et de M. Besson.

Ces derniers sont à la fois l'expression et la traduction d'une redéfinition des frontières et des critères qui ont pendant longtemps fondé les différences politiques et culturelles entre la gauche et la droite. Rachida Dati et Rama Yade sont dans ce gouvernement par adhésion depuis toujours aux idées de Nicolas Sarkozy. Quant à Fadela Amara, elle traduit à sa manière non pas la cécité de la gauche, mais son refus tout à fait volontaire de ne pas laisser "entrer" et accéder à des positions de pouvoir une partie de l'élite issue de l'immigration qui avait cru qu'elle pouvait être naturellement accueillie à gauche.

Aussi, cette nouvelle donne ne peut être réduite à un "coup" politico-médiatique. Si cette perspective n'est pas dénuée de fondement, elle est en réalité infiniment plus que cela. Elle traduit des transformations profondes et "contradictoires" de la société française à l'oeuvre depuis une trentaine d'années (restriction du droit de séjour et mondialisation des flux migratoires, perméabilité des frontières et maintien de l'identité nationale, etc.). La gauche a pris beaucoup de retard dans la compréhension de ces bouleversements sociaux. Elle a cinq ans devant elle.



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Point de vue

 

La République blanche, c'est fini !


par Fodé Sylla, ancien président de SOS-Racisme et membre du Conseil économique et social ; et par Francis Terquem, avocat au barreau de Paris, proche du MRAP

LE MONDE - Article paru dans l'édition du 10.12.05

Nous venons d'assister, dans nos banlieues, à la fin de l'hypocrisie républicaine. Parce que son idéologie est inexorablement holiste [estime que les intérêts de la communauté priment sur ceux des individus], parce qu'elle considère le peuple comme une abstraction, un tout, la République se prive de la capacité à accepter et, plus encore, à susciter l'apport d'une extranéité d'origine théologique distincte, contrairement aux immigrations précédentes qui avaient le bon goût d'être d'origine catholique.

Assez rapidement après avoir, il y a déjà un certain temps, engagé une campagne judiciaire, médiatique et militante contre les discriminations par testings, nous avons compris qu'il fallait chercher dans la composition elle-même de l'appareil répressif l'explication de sa réticence à réprimer une délinquance massive, placée par le législateur en tête des atteintes à la dignité de la personne, et dont le président de la République vient de rappeler solennellement combien elle était perturbatrice de l'ordre public et destructrice du tissu social. Il n'était pourtant pas difficile de faire accompagner, sinon organiser, ces testings par des officiers de police judiciaire — aucun des 175 parquets de la République n'en a jamais pris l'initiative — ni de contrôler spontanément les boîtes d'intérim ou les structures HLM qui ont organisé la ghettoïsation en banlieue en protégeant les centres-villes.

Combien de magistrats français sont arabes ? Et qui s'est jamais fait arrêter par un motard de la gendarmerie d'origine africaine ? En poursuivant cette observation, il ne nous a pas été nécessaire d'être grands clercs pour constater qu'aucune des institutions républicaines n'était à l'abri d'une telle critique. Il n'est donc pas surprenant que la classe politique reste si peu représentative de la diversité de la population. C'est pourquoi, tout en maugréant que cela ne vînt pas de notre camp, nous avons été sensibles aux propos de Nicolas Sarkozy sur la discrimination positive, qu'il aurait été plus exact et opportun d'appeler action positive. Non pas tant que la solution ait emporté notre adhésion totale et aveugle, mais parce qu'elle présupposait qu'il fût pris acte d'une situation réelle, la discrimination. La République ne l'a pas empêchée, elle le paye de cette émeute raciale, qui n'est pas la première — en 1988, les enfants de harkis déjà..., et on ne se souvient pas assez des grèves dans l'industrie automobile, dès 1983 —, et qui cristallise l'échec de l'intégration républicaine.

Sur une base nationaliste, des socialo-nationalistes, autrefois pourfendeurs de boucheries halal ou nonistes gaucho-souverainistes, aux souverainistes gaullistes les plus estampillés maurrassiens, tous ont décrété la patrie en danger. Les intellectuels républicains, à l'instar de Michèle Tribalat, ont avancé que ce qui a échoué ce n'est pas tant la République que l'intégration elle-même, qui ne peut pas fonctionner parce que nous ne nous aimerions pas nous-mêmes. Ils en appellent donc à la concorde entre Français de souche et sont prêts, à l'instar de Jules Guesde, en 1914, à participer à l'Union nationale contre l'étranger, au mépris de toute analyse de classes.

Pourtant, il faudra bien un jour, objectivement, dresser le bilan de la République, et pas seulement de la Ve ; du comportement de sa diplomatie, de ses armées, de ses élites et de ses corps intermédiaires ; sans oublier cet accord fondateur et séculaire avec l'Église catholique — et seulement avec elle —, une certaine intolérance laïcarde à l'encontre des musulmans, et sa fâcheuse habitude d'asservir les peuples au mépris des grands principes universels qu'elle prétend promouvoir. Et que dire de son soutien sans relâche aux dictatures, au prétexte du droit à la souveraineté des nations.

Il devient de plus en plus insupportable de vivre sous la férule d'une République qui ne voit dans les quartiers que de jeunes trafiquants de drogue, en omettant de rappeler que, s'il y a des vendeurs, c'est qu'il y a des acheteurs. Comme disait Milton Friedman, pour faire un bon économiste, il suffit de prendre un perroquet et de lui apprendre : "La loi de l'offre et de la demande, la loi de l'offre et la demande..." Il faut bien des vendeurs à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) pour approvisionner les boîtes chics, garnir les tiroirs des salles de rédaction, égayer les séminaires de direction. Ils sont pratiques ces petits "sauvageons" dans leurs cités, sous réserve qu'ils n'en sortent pas, ce à quoi la police et la justice républicaines veillent, scrupuleusement.

Il ne nous sera pas possible de vivre en harmonie avec dix millions de personnes sans que notre culture commune s'imprègne de la leur. Elle n'est pas de source judéo-chrétienne ? Et alors, la belle affaire pour une République laïque ! Il faudra bien que la question coloniale soit abordée et analysée dans toute sa complexité ; y compris que l'on procède à l'examen précis et complet des conséquences de notre rivalité avec l'Empire britannique générées par cette aventure, et qu'il en soit tenu compte dans l'histoire que l'État a la charge de faire enseigner à chacun. Au lieu de cela, la République fait montre de la même vision que Georges Marchais avec l'Union soviétique en prétendant décréter par la loi que la colonisation était globalement positive.

Peu de temps avant les émeutes, deux informations nous étaient parvenues : tout d'abord, un rapport tout à fait officiel commis par une éminente sociologue sur le traitement réservé, par la hiérarchie militaire, aux recrues de la marine nationale d'origine arabe ou africaine. La manière dont sont traités ces grands frères par l'armée de la République, dont on apprend au passage qu'elle est dotée d'aumôniers catholiques embarqués sur ses navires, ne peut pas inciter leurs petits frères à accepter sans rechigner l'inexorable destin qui leur est réservé. Nous n'avons pas su qu'une suite judiciaire quelconque ait été réservée à ces discriminations, injures et diffamations raciales. Ensuite, un article sur les discriminations sexuelles — le harcèlement même — dont est victime le personnel féminin de l'armée américaine. Là, l'état-major a mis en place un numéro vert, destiné à recueillir les dénonciations de ces délits. Quel contraste, tout de même, et quel retard !

C'est ici que la posture de Nicolas Sarkozy nous paraît dangereuse, et celle de Lionel Jospin incompréhensible. Car, s'il est cohérent d'être libéral sur les plans social et sociétal — quoique pour notre part nous préférions une économie régulée —, il est plus incongru de prétendre être, sur le même plan sociétal, tout à la fois le héraut de l'ordre républicain et le chantre des libertés individuelles. Certes, il faut deux jambes pour avancer, sauf si elles marchent dans deux directions opposées. Il vaut mieux même être unijambiste pour continuer à avancer. Mais l'amputation sera douloureuse, électoralement.

En revanche, comme les 35 heures lui confèrent un brevet social et que l'égalité sociale est indispensable à la promotion de l'équité sociétale, Lionel Jospin paraît le mieux placé pour investir le large champ qui s'ouvre des droits individuels, terrain naturel de la social-démocratie. Pourtant, il semble s'obstiner à ne pas s'y aventurer, à ne pas vouloir moderniser sa matrice. La clé de sa victoire, et donc de sa candidature, est là, s'il veut bien prendre garde à ne pas être dépassé par l'histoire.

Le candidat dont la gauche démocratique a besoin est celui qui, tout en garantissant le progrès de l'ordre public social, mènera le combat contre des institutions d'inspiration bonapartiste surannées qui ne conservent pas d'autre ambition que d'assurer la suprématie du communautarisme blanc, même au prix d'une répression sans limites et aveugle.



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Chat

 

Discriminations : pourquoi les Noirs de France se rassemblent-ils ?

LEMONDE.FR | Mis à jour le 13.12.05 | 12h08

L'intégralité du débat avec Pap Ndiaye, universitaire et membre du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), mardi 13 décembre 2005

QUESTION - Bonjour, je suis colombienne d'origine française. Je pense que le problème de la discrimination en France ne touche pas que les Français d'origine africaine ou les Français des DOM TOM... Qu'en pensez-vous ?

Pap Ndiaye : Vous avez raison. Les discriminations visent des personnes très différentes les unes des autres. Il est hors de question de les hiérarchiser moralement, mais il convient de les distinguer pour mieux les combattre. En l'occurrence, les discriminations visant les populations noires de France (personnes d'origine antillaise ou africaine) ont une histoire, des formes particulières qu'il est nécessaire de penser. Cela ne signifie pas que les Noirs aient des droits particuliers, ni que leur situation soit nécessairement plus difficile que celle d'autres personnes, par exemple des citoyens ou étrangers d'origine arabe, sud-américaine, etc.

QUESTION - Est-ce vraiment habile de vous présenter (les Noirs) comme une minorité "fragile" ? J'ai peur que vous donniez le bâton pour vous faire battre !

Pap Ndiaye : Les populations noires de France constituent une minorité affectée de difficultés et de souffrances sociales spécifiques. Elles sont plus fragiles socialement et économiquement, en moyenne, que le groupe dit "majoritaire". Il importe, à mon sens, de reconnaître ces difficultés sociales pour y remédier.

QUESTION - On nous dit qu'il ne faut pas revisiter l'histoire. Qu'en pensez-vous ?

Pap Ndiaye : Il me semble au contraire utile et important d'ouvrir les chapitres "sombres" de l'histoire nationale, non pas pour instruire des procès contre la République, mais plutôt pour la renforcer. Il me semble que c'est en parlant et en travaillant sur l'histoire de Vichy, l'histoire de la guerre d'Algérie, l'histoire de l'esclavage, de la colonisation, que l'on est, par contrecoup, crédible lorsqu'on parle des pages "glorieuses". Il ne s'agit pas de "faire plaisir" à tel ou tel groupe, mais de reconnaître l'importance de sujets d'histoire longtemps occultés dans notre histoire nationale.

QUESTION - Que pensez-vous des déclarations d'Alain Finkielkraut, Héléne Carrère d'Encausse et quelques autres ? Ne pensez-vous pas qu'une certaine parole malsaine se lâche aujourd'hui ? A quoi attribuez-vous cela ?

Pap Ndiaye : Ces déclarations sont désolantes de la part d'intellectuels renommés. La montée en puissance des questions relatives aux minorités en France donne probablement l'occasion à des intellectuels conservateurs de ressasser des vieux thèmes culturalistes attribuant aux Noirs ou à d'autres des traits culturels irréductibles censés rendre compte de phénomènes récents, comme les émeutes de banlieue. Le contexte actuel favorise des prises de parole à connotation xénophobe, ou parfois raciste, qu'on n'aurait probablement pas entendues il y a quelques années.

"LE DISCOURS RÉPUBLICAIN, GÉNÉREUX EN PRINCIPES, A MASQUÉ DES INÉGALITÉS SOCIALES"

QUESTION - Il ne s'agit pas seulement d'un problème des "intellectuels" renommés. Je trouve que c'est un problème qui a ses origines dans le concept d'intégration républicain du modèle français. Qu'en pensez-vous ?

Pap Ndiaye : Je suis d'accord. Le modèle républicain a promu la figure abstraite du citoyen libre et a recouvert d'un voile pudique des phénomènes de discriminations fondés sur la couleur de peau, le sexe, etc. Il s'agit aujourd'hui de nommer et de décrire les discriminations pour mieux les combattre.

QUESTION - Pensez-vous que l'Etat représenté par ses ministres doit donner l'exemple en employant un langage politiquement correct et éviter le langage de la rue tel que Karcher, racaille... ?

Pap Ndiaye : Il me semble que les ministres de la République doivent s'exprimer différemment des "habitués du café du commerce". La parole et les mots d'un ministre ont des effets culturels et sociaux et il importe de peser ses mots. Force est de constater que des mots comme "racaille" ou "Karcher" n'appartiennent pas au registre de la délibération républicaine, mais à celui de la stigmatisation populiste.

QUESTION - D'après vous, Pap Ndiaye, pourquoi la France d'aujourd'hui ne veut-elle pas assumer sa diversité ?

Pap Ndiaye : La diversité a longtemps été perçue comme une menace pour la cohésion nationale et l'ordre républicain. L'universel républicain a longtemps été celui des hommes blancs. De surcroît, la diversité ethnique de la population française a une histoire qui est liée à la construction de l'empire, histoire longtemps occultée. Il n'est donc pas étonnant que l'expression et l'organisation publiques des minorités françaises passent aussi par la mise en avant d'épisodes difficiles et occultés de notre histoire commune, comme l'esclavage.

QUESTION - Bonjour, ne pensez-vous pas que le discours des "républicains universalistes" rend très difficile la lutte contre les discriminations en France, et que ce discours conduit surtout à ne rien changer ?

Pap Ndiaye : Certainement. Le discours républicain universaliste, généreux en principes, parfois en actes, a aussi masqué des inégalités sociales et des discriminations. Il est possible et nécessaire, me semble-t-il, d'être à la fois universaliste et de prêter attention aux difficultés sociales spécifiques de groupes sociaux qui ont longtemps été "invisibles". L'abbé Grégoire, grand révolutionnaire et grand républicain universel, était aussi le fondateur de la Société des amis des Noirs et celui qui a accordé la citoyenneté aux juifs de France.

QUESTION - Je suis d'origine algérienne, je souffre du racisme autant que vous. Suis-je blanche ? Ne devriez-vous pas élargir votre cercle ? Pourquoi les Noirs uniquement ?

Pap Ndiaye : Il est hors de question de hiérarchiser les souffrances sociales dues au racisme et à la discrimination. D'un point de vue moral et politique, elles s'équivalent. Il me semble en revanche qu'il est utile de réfléchir sur les discriminations et stigmatisations spécifiques dont sont victimes les populations noires, ce qui ne signifie pas qu'elles soient plus "intolérables" que celles qui affectent les populations arabo-berbères.

QUESTION - La multiplication d'associations à caractère "ethnique" ne risque-t-elle pas à vos yeux de favoriser la communautarisation de la société française ?

Pap Ndiaye : S'il s'agissait d'associations "ethniques", on aurait affaire à des associations antillaises, congolaises, béninoises, etc. Ces associations sont par ailleurs légitimes, dans la mesure où elles permettent à des personnes originaires de la même région ou du même pays de se regrouper en fonction de tel ou tel objectif culturel ou social, et où elles ont servi à amortir le choc migratoire. Mais ce dont il est question avec le Conseil représentatif des associations noires, ce n'est pas un regroupement ethnique (puisqu'il rassemble des personnes d'origines très différentes), mais un regroupement fondé sur l'expérience sociale commune de discriminations et stigmatisations liées à la couleur de peau. En cela, il n'y a pas communautarisation de la société, mais organisation associative visant à établir des liens entre les autorités chargées de la lutte contre les discriminations (la Halde, Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) et les personnes qui les subissent. C'est donc fondamentalement un projet républicain.

QUESTION - L'électorat noir peut-il, selon vous, peser sur l'issue des prochaines élections présidentielles ? Si oui au profit de qui ?

Pap Ndiaye : Il faudrait d'abord réfléchir sur ce que pourrait être cet électorat noir. La diversité politique et sociale des populations noires est une bonne chose et elle me semble difficilement compatible avec une stratégie présidentielle spécifique. En revanche, il est légitime que les populations noires de France, via leurs associations, formulent des demandes d'égalité des droits réels (pas seulement formels) auprès des candidats à l'élection présidentielle.

QUESTION - Mais que pensez-vous du danger que peuvent représenter certains groupes de revendications naissants, au discours souvent violent et mal maîtrisé ? Je pense particulièrement aux nouveaux Black Panthers français, qui d'ailleurs sont rejetés par des électrons libres tels que Dieudonné.

Pap Ndiaye : Il existe certainement une petite minorité active de Noirs caractérisée par un discours radical intolérant, avec parfois des connotations antisémites. Ce discours doit être dénoncé parce qu'il est moralement inacceptable et politiquement suicidaire. D'où l'importance, me semble-t-il, de la création d'une fédération des associations noires fondée sur des principes de tolérance, de respect mutuel.

Je vous remercie pour vos questions pertinentes. Le débat est naissant en France et nous aurons certainement d'autres occasions de réfléchir à tout cela.

Chat modéré par Constance Baudry et Stéphane Mazzorato


Publié dans IDENTITÉ NATIONALE

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