ANDÉOL : PFUIT ET PETITS RIENS [5]

Publié le par alain laurent-faucon



Chroniques de la vie ordinaire – suite.

 







 

 Pfuit et petits riens

 


 

chroniques de la vie ordinaire


Andéol

 



 


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Quand on a le coeur sur les lèvres et les lèvres au bord des larmes ; quand, dès le matin, la vie semble un long calvaire ; quand la souffrance intérieure est telle qu'une seule issue demeure : dormir, dormir, jusqu'à la fin du monde, alors il arrive que la feuille blanche soit la meilleure des confidentes et que jeter, sur du papier d'écolier, des mots sanglots ou des bouts de phrases nerveuses, chaotiques, désespérées, soit l'unique voie possible.

 

Nicole, dont la douleur est souvent « inhumaine » – elle l'envahit complètement, l'enferme dans ses tourments, la ronge comme un cancer, le pire, celui de l'âme – a justement besoin de remplir des pages et des pages, de son écriture « pattes de mouche », pour tenter de retrouver le calme, un peu d'harmonie.

 

« Je trouve très sympathique que les gens qui ont besoin de dire, de crier tout haut des choses de leur vie, aient une petite place bien à eux ... ».

 

Ce petit mot de Nicole, suivi d'une longue, très longue lettre, ressemble – à s'y méprendre – à un ultime appel à l'aide. C'est vrai que certains spécialistes de l'âme manquent, parfois, d'humanité.

 

« Avec ce qui me reste de mots appris à l'école primaire, je me permets de crier ma révolte contre cette « psy », qui m'avait demandé puis a détruit, lorsque je n'ai plus voulu la voir, mes écrits, ces pensées notées de 18 à 44 ans, mes émotions, mes larmes, mes angoisses, mon anéantissement ... ».

 

Pourquoi cette psychanalyste a-t-elle agi ainsi ? Le pouvoir que l'on a sur les autres ne donne pas tous les droits. Surtout si l'on sait que, pour celles et ceux qui vivent dans une prison intérieure, s'exprimer à travers l'écriture ou la peinture est un acte essentiel, vital.

 

« Ne m'avait-elle pas ouvert sa porte ? ».

 

Bien sûr, quand on souffre, tout nous est dû. Bien sûr, quand on pleure, le monde entier nous en veut. Mais si certains « psy » ne savent pas cela, ils n'ont qu'à changer de job. Ce n'est pas aux malades à assumer les manques et les défaillances coupables de gens pas assez solides pour exercer une telle profession. Et qui oublient cette mise en garde de Montaigne : science sans conscience n'est que ruine de l'âme.

 

« Et maintenant, je vais au gré du vent, loin de moi ».

 

 



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Salauds de pauvres ! disait Coluche. Salauds de vieux ! pourrait-on ajouter. Même s'ils sont de plus en plus nombreux. Ou peut-être parce qu'ils sont de plus en plus nombreux. Comme les pauvres d'ailleurs. Et les chômeurs.

 

L'histoire de Lucienne, pour pitoyable qu'elle soit, n'est donc pas une exception. Elle est même très banale. Trop banale.

 

« Je suis veuve et je vis au milieu de l'indifférence totale des voisins. Pas un seul, jamais, ne m'a tendu la main ». Alors, pour rompre sa solitude, Lucienne a trouvé à la SPA un fidèle compagnon, un petit chien plein d'affection pour elle. Malheureusement, jouxtant sa maison, se trouve une résidence habitée par de jeunes couples avec des enfants. La solitude de Lucienne va progressivement se transformer en calvaire.

 

« Je suis la vieille ! Je suis la folle ! ».


Les gosses se moquent d'elle, s'amusent à jeter des cailloux dans son jardin, excite son chien en le menaçant avec un bâton. Elle a voulu se plaindre auprès des parents et « l'un des pères m'a rétorqué : vous n'êtes qu'une folle ! ».

 

Lucienne a donc été obligée de porter plainte auprès de la police. Apprenant la nouvelle, les parents se sont montrés encore plus hostiles et ont laissé leurs enfants continuer à lui faire des misères. « Ils ont détérioré ma clôture et s'amusent à jeter des pétards, ce qui affole complètement mon petit chien ».

 

Vivant désormais dans la crainte, se sentant totalement abandonnée, Lucienne est en train de craquer nerveusement. « Je ne sais comment tout cela finira, mais il faudra bien que cela finisse ... Cette malveillance, je la subis depuis trois ans. Chaque jour est une nouvelle angoisse, car je me demande toujours ce qu'ils vont inventer pour me nuire davantage ».

 

Bien sûr, il est possible de se demander si, dans sa détresse et sa solitude, Lucienne n'a pas tendance à exagérer les méfaits des gosses. Mais il est également possible de s'étonner de l'attitude des parents. Ont-ils le droit d'insulter une personne âgée sans défense ? Est-il normal qu'ils laissent leurs enfants s'amuser au détriment d'une vieille dame ? La vie, contrairement au titre d'un film, est rarement un long fleuve tranquille.


Pour avoir la paix, il vaut mieux être costaud des épaules.

 

 



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« Bonjour ! C'est papa ... tu vas bien ?

- Oui, ça va ...

- On se voit quand ?

- Dis-moi ...

- Non, toi ! Selon ce que tu fais durant les vacances.

- Alors, attends ... Pas ce week-end, je vois des copains. Pas la semaine qui suit ... je serai à la campagne. Mais, après, si tu veux.

- D'accord, ça marche ! Fixe-moi le jour et l'heure.

- Un soir, comme ça, on ira manger ensemble.

- Pourquoi pas ... Mais ... Faut que je te dise : j'ai pas de fric, je suis coincé, vraiment ... vraiment ... Alors, je ne sais pas encore si nous pourrons aller au restaurant.

- Ah bon ! Eh bien, le plus simple, c'est qu'on se rappelle.

- Si tu veux ...

- A bientôt !

- Je t'embrasse ...

 

A l'autre bout du fil, elle a raccroché. A son tour, lentement, il laisse tomber le combiné. Sa fille a de drôles de réflexes. Tout est classé, ordonné, étiqueté, dans sa vie. Et, pour se voir, c'est toujours la croix et la bannière. Jamais le moment. Jamais le temps. Jamais le jour. Jamais l'heure.

 

Mais, ce qui le chagrine le plus, ce sont ses réactions lorsqu'il lui avoue qu'il n'a pas d'argent. Depuis son divorce, il a souvent eu des ennuis financiers. Au point que son ex-femme s'imagine qu'il organise son insolvabilité. Au point que son ex-femme, en accord avec sa fille bientôt majeure, a même demandé au JAM (juge aux affaires matrimoniales), s'il n'existait pas un moyen d'éviter aux enfants l'obligation légale de venir en aide à leurs parents, quand ceux-ci sont dans le besoin. Par exemple, en obtenant la déchéance paternelle.

 

« Tu comprends, je ne voudrais pas que plus tard, lorsque tu seras vieux et malade, "ma" fille soit obligée de payer pour toi.

- Rassure-toi, je ne suis pas un mendiant !

- Oui, mais si tu as des dettes ?

- La belle affaire ! Quand je serai mort, elle n'a qu'à refuser mon héritage ... Comme ça, elle ne devra rien à quiconque.

- Jure-moi que tu ne lui demanderas jamais un sou ...

 

Voilà ! C'est un joli conte en forme de compte. Plus vrai que nature. A peine croyable. Pourtant, il y a pire encore. Un cadre licencié s'est fait insulter par ses enfants qui lui ont déclaré : à cause de toi, nous allons devenir pauvres et perdre tous nos amis. Il s'est suicidé.


Michel ... Tel était son prénom. 

 

 

 

 

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