FAMILLE - ENFANT - BIOMÉDECINE
Près de vingt-six ans après la naissance, en France, de la petite Amandine [1], l’assistance médicale à la procréation s’est largement développée. Selon l’Agence de biomédecine, 19 026 enfants sont nés dans l’Hexagone en 2005 grâce à une technique d’AMP. Avec un corollaire, note le journal La Croix : les médecins de l’infertilité sont confrontés à de nouvelles demandes, qui les exposent à des choix éthiques difficiles, principalement du fait de l’âge des couples.
Selon la loi du 6 août 2004, rappelle La Croix, seul peut avoir recours à l’AMP un couple formé d’un homme et d’une femme « vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans », ce qui exclut notamment les célibataires, les couples de même sexe et les femmes ménopausées. Mais se pose le problème des hommes âgés : « Depuis quelques années, ils sont un nombre croissant à demander une congélation de leur sperme vers 60 ou 65 ans », remarque le docteur J.-M. Kunstmann. « Il faut y ajouter une évolution de notre société, explique le médecin. Aujourd’hui, on se dit qu’il est possible de refaire sa vie après 60 ans, y compris avec un projet parental » - d'où cette demande masculine.
Que faire face à ce désir d'enfant ? Les réponses ne sont jamais simples, observe le docteur J.-M. Kunstmann. « Dès lors que la technique permet de transgresser les repères naturels, c’est aussi à la société de dire jusqu’où il faut aller. » De nos jours, en effet, l'homme est son propre démiurge. Grâce à la biomédecine il est à même d'intervenir sur le vivant et de modifier ce qui était jadis du domaine des « lois de la nature ». D'où la nécessité de réfléchir à nouveau sur ces questions fondamentales que sont le vivant, l'humain – en un mot qu'est-ce que l'homme ? Quelle est sa spécificité ? Son identité ?
En effet, comme il en avait été question lors de la sortie du livre de Sophie Marinopoulos et d'Israël Nisand, 9 MOIS ET CÆTERA, la biomédecine n'a cessé de multiplier les avancées en matière de reproduction humaine [2]. « Elle sait aujourd'hui fabriquer des enfants hors sexe (fécondation in vitro), hors corps (intermédiaire des mères porteuses), et même hors vie, puisque l'on peut devenir biologiquement père ou mère après sa mort (par le don de gamètes ou d'embryons). »
Présentées selon une échelle de difficulté croissante, « ces prouesses de la médecine font émerger, à leur tour, quatre niveaux de complexité éthique. Pour chacun d'entre eux se présente un côté jardin, celui des avantages médicaux et des possibilités de réparation. Mais aussi un côté cour, face sombre de ces évolutions derrière lesquelles se profilent d'évidentes dérives. L'une d'elle, et non la moindre, étant peut-être de vouloir des enfants à tout prix » (Catherine Vincent, in Le Monde, édition du 19.10.07).
C'est en 2009 que seront révisées les lois de la bioéthique. Ce qui promet d'intéressants débats tant les questions relevant de la biomédecine sont essentielles.
NOTES :
[1] C'était en 1982 et Amandine avait été qualifiée de « bébé-éprouvette » par la presse – la recherche du mot qui fait mouche ... par-delà le mauvais goût et la grossièreté. Une telle vulgarité dans le terme employé a été aussi le fait de tous les opposants à l'AMP – à commencer par l'Église catholique (cf. ci-dessous les propos d'un ecclésiastique). A noter que c'est en Angleterre qu'est née, en 1978, Louise Brown, grâce à la pratique de l'AMP.
[2] Cf. MÉTAMORPHOSES DE LA FAMILLE
Remarque : Je me suis permis de reproduire la prise de position de l'Église catholique concernant l'AMP, car il est important de connaître les avis et recommandations des institutions religieuses même si elles me semblent contestables. Par exemple, pour moi la phrase qui va suivre, représente le summum de la langue fielleuse de l'Église actuelle : « En substituant un acte technique à l’étreinte des corps, écrit Mgr Bruguès, on pervertit la relation à l’enfant : celui-ci n’est plus un don mais un dû. » Eh oui ... Mais ce prélat oublie d'évoquer le temps où l'enfant n'était pas désiré et où il était la conséquence inéluctable (fatalité ?!) des rapports sexuels (le péché de la chair ?!) – quand il en n'était pas la punition : il suffit de lire les romans du XIXe siècle, par exemple Effi Briest (1895), le chef-d'oeuvre du romancier Theodor Fontane. Je vous renvoie à la synthèse sur LES FEMMES ET LA SOCIÉTÉ pour des compléments d'information.
Je vous invite également à prendre conscience de la grande charité dont font preuve les théologiens quand il s'agit de contester ce qu'ils réprouvent : « il n’est pas indifférent, pour la personnalité de l’enfant, d’avoir été engendré dans une éprouvette », nous dit le P. de Longeaux. Qu'en termes sensibles, fins et délicats, à l'égard du couple désirant un enfant et vis-à-vis du futur enfant lui-même, cela est formulé. Il y a là quelque chose de proprement scandaleux - d'abject - dans ce genre de propos.
La meilleure réponse qui puisse être faite à ces théologiens est bien celle du généticien Axel Kahn reproduite in fine – même si sa réponse ne s'adresse pas directement à eux.
La Croix - 28/01/2008 20:34
Les nouveaux dilemmes des médecins de l'infertilité
L'Agence de biomédecine présente mardi 29 janvier un bilan de l'assistance médicale à la procréation en France
Près de vingt-six ans après la naissance du premier « bébé-éprouvette » en France, Amandine, en 1982, l’assistance médicale à la procréation (AMP) s’est largement développée. Selon l’Agence de biomédecine, qui présente ce matin un bilan, 19 026 enfants sont nés dans l’Hexagone en 2005 grâce à une technique d’AMP.
Avec un corollaire : ces dernières années, les médecins de l’infertilité sont confrontés à de nouvelles demandes, qui les exposent à des choix éthiques difficiles, principalement du fait de l’âge des couples.
« Il y a plusieurs raisons à ces nouvelles demandes, explique Nicolas Foureur, médecin du Centre d’éthique clinique, à Paris. L’amélioration des techniques, bien sûr, qui ouvre le champ des possibles, mais aussi une appréhension différente de la place du patient qui, notamment depuis la loi du 4 mars 2002, a davantage son mot à dire. »
Conséquence, les médecins voient arriver en consultation des couples aux demandes « hors norme », pour lesquelles les textes n’apportent pas toujours de réponse claire, en dépit d’un cadre législatif assez strict : selon la loi du 6 août 2004, en effet, seul peut avoir recours à l’assistance médicale à la procréation un couple formé d’un homme et d’une femme « vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans », ce qui exclut les célibataires, les couples de même sexe et les femmes ménopausées.
Un homme de 75 ans demandait à « récupérer » ses gamètes
Dans la pratique, pourtant, il n’est pas aussi simple d’interpréter l’expression « en âge de procréer ». Concernant les femmes, qui se présentent à un âge de plus en plus avancé, « il existe un relatif consensus pour ne pas aller au-delà de 43 ans », témoigne Jean-Marie Kunstmann, le responsable du Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) de Cochin. Si le don d’ovocytes ouvre techniquement la voie à des grossesses très tardives, la Sécurité sociale ne prend en charge la fécondation in vitro (Fiv) qu’avant 43 ans.
La question se corse en revanche en ce qui concerne les hommes. « Depuis quelques années, ils sont un nombre croissant à demander une congélation de leur sperme vers 60 ou 65 ans », remarque le docteur Kunstmann.
Le dépistage plus fréquent du cancer de la prostate y est pour beaucoup : lorsque la maladie est décelée, des urologues proposent aux patients la conservation de leurs gamètes avant traitement, puisque celui-ci comporte des risques de stérilité. « Il faut y ajouter une évolution de notre société, complète le praticien hospitalier. Aujourd’hui, on se dit qu’il est possible de refaire sa vie après 60 ans, y compris avec un projet parental. »
À Cochin, l’équipe a récemment été sollicitée par un homme de 75 ans qui avait fait conserver son sperme en 1994, à l’annonce d’un cancer. Père de quatre enfants et de nombreux petits-enfants, il s’était depuis remis en couple avec une jeune femme désireuse d’avoir un enfant, et demandait donc à « récupérer » ses gamètes.
L’âge n’est pas le seul en cause
« C’est un cas extrême, mais cela arrive régulièrement avec des hommes d’une soixantaine d’années, que doit-on faire alors ? », interroge le responsable du Cecos. À l’hôpital Jean-Verdier de Bondy (Seine-Saint-Denis), Jean-Noël Hugues, chef du service de médecine de la reproduction, est confronté aux mêmes dilemmes. « Faut-il aider un couple à avoir un enfant lorsque l’homme a 65 ans et a déjà subi quatre pontages cardiovasculaires, avec le risque que cet enfant se retrouve orphelin à cinq ans ? », questionne-t-il.
L’âge n’est pas le seul en cause. Il y a peu, le cas d’un couple jeune mais dont l’homme et la femme étaient tous deux atteints de mucoviscidose a été soumis au Centre d’éthique clinique de Cochin, qui rend des avis consultatifs.
« Les progrès de la médecine ont permis aux malades de gagner en espérance de vie, décrypte Nicolas Foureur. Ce couple souhaitait un enfant, tout en sachant que l’un ou l’autre risquait de mourir quelques années plus tard… Ils nous ont cependant expliqué qu’ils avaient lutté pour en arriver là et qu’ils pouvaient compter sur leurs proches en cas de décès. Au nom de quoi leur refuser ce projet ? Qui peut juger de l’intérêt de l’enfant à naître ? », interroge le médecin.
Celui-ci se souvient également de la situation inextricable d’un couple malien : « Ils demandaient une AMP en raison de la séropositivité de l’homme, ce qui est prévu par la loi. Cependant, d’autres difficultés se posaient : la précarité économique du couple, la clandestinité de la femme, qui risquait une reconduite à la frontière… »
Face à ces questions, les praticiens doivent trouver des règles de conduite. Le gynécologue obstétricien René Frydman, qui fut l’un des « pères » d’Amandine, s’en tient à son rôle de médecin. « L’élément dominant, c’est le risque que présente une éventuelle grossesse, notamment après un certain âge, explique-t-il. Pour le reste, je m’interdis d’entrer dans ce qui fait le désir d’enfant »
Révision des lois de bioéthique en 2009
Il cite un exemple : « Même lorsque, pour telle ou telle raison, le futur père a une espérance de vie limitée, il est compréhensible que la femme souhaite avoir un enfant de l’homme qu’elle aime. Ce n’est pas mon rôle d’interférer », estime-t-il.
D’autres médecins, comme Jean-Noël Hugues, à Bondy, privilégient la décision collégiale et l’échange avec des collègues d’autres disciplines. D’autres encore sollicitent l’avis du Centre d’éthique clinique, composé de soignants et de non-soignants (psychologues, philosophes, sociologues, juristes, théologiens…) et dont l’objectif est précisément d’« accompagner » la décision médicale.
« Cette aide est précieuse car on se sent souvent seul face à ces questions qui dépassent notre compétence, fait observer Jean-Marie Kunstmann, à Cochin. Dès lors que la technique permet de transgresser les repères naturels, c’est aussi à la société de dire jusqu’où il faut aller. »
Autant de réflexions qui viendront nourrir les débats sur la révision des lois de bioéthique, l’année prochaine. D’ici là, les spécialistes de l’assistance médicale à la procréation attendent également que l’on s’intéresse au don d’ovocytes.
Le manque de dons et l’âge élevé des donneuses entravent actuellement l’efficacité de l’AMP en France, regrettent-ils, soulevant la question d’une éventuelle rémunération. L’agence de biomédecine prépare de son côté une campagne de sensibilisation sur le sujet, qui sera lancée au printemps.
Marine LAMOUREUX
Une question de vocabulaire
La Croix - 28/01/2008
Avoir un enfant grâce à la médecine : Le terme d’assistance médicale à la procréation recouvre toutes les techniques permettant aux couples inféconds ou stériles d’avoir un enfant en faisant appel à la médecine. Elles peuvent être regroupées en deux grands ensembles.
L’insémination artificielle : Elle consiste à injecter les spermatozoïdes dans l’utérus, pour faciliter la rencontre des gamètes. Elle est réalisée soit avec le sperme du conjoint (IAC), soit, si celui-ci est stérile, avec du sperme de donneur (IAD). L’IAD est également demandée en raison d’un risque élevé de transmission paternelle d’une maladie génétique grave inaccessible au diagnostic préimplantatoire ou au diagnostic prénatal.
La fécondation in vitro (FIV) : Dans cette technique, la rencontre entre gamètes mâles et femelles ne se fait plus dans l’organisme, mais en dehors du corps, en éprouvette ou « in vitro ». Les principales indications sont l’absence ou la détérioration des trompes, l’endométriose (affection de la muqueuse utérine) ou la stérilité inexpliquée. La FIV peut être couplée à une technique de micro-injection (Icsi) : il s’agit alors d’injecter directement un spermatozoïde dans un ovocyte.
La Croix - 28/01/2008 17:59
L'Eglise s'inquiète de la dissociation entre sexualité et
procréation
Si l’Église catholique met en garde contre l’assistance médicale à la procréation, elle accompagne aussi les couples dans leur quête de fécondité
« Avec le recul d’une vingtaine d’années d’exercice, nous voyons mieux pourquoi l’Église a condamné les diverses techniques d’assistance médicale à la procréation », écrit Mgr Jean-Louis Bruguès en tête du chapitre consacré à ce sujet dans le Lexique des questions éthiques [1].
Le théologien dominicain, alors évêque d’Angers, nommé depuis secrétaire de la Congrégation romaine pour l’éducation catholique, est d’ailleurs réticent à utiliser le terme d’« assistance » car, pour lui, il s’agit plutôt d’une « substitution ».
Ces substitutions – et les dissociations qu’elles entraînent – sont au cœur des objections morales que l’Église catholique n’a cessé de soulever contre les AMP, dès l’instruction Donum vitae de la Congrégation pour la doctrine de la foi, en 1987.
La dissociation des parentés mise en cause par l’Église
Ainsi, le P. Jacques de Longeaux, théologien et prêtre parisien qui anime depuis quelques années des sessions pour couples sans enfants dans le cadre des Équipes Notre-Dame, met en garde contre « la dissociation entre sexualité et procréation, et vice versa », tout en soulignant qu’il commence toujours par « écouter et tenir compte de la souffrance » de ces couples.
« En substituant un acte technique à l’étreinte des corps, écrit pour sa part Mgr Bruguès, on pervertit la relation à l’enfant : celui-ci n’est plus un don mais un dû. »
Autre dissociation mise en cause par l’Église : celle des parentés en cas de fécondation in vitro hétérologue (ou insémination artificielle avec donneur – IAD), puisque l’on fait appel à un tiers donneur de sperme.
« Perte de valeur de l’embryon »
Selon Donum vitae, qui parlait du « droit de l’enfant à être conçu et mis au monde dans et par le mariage », l’IAD « lèse les droits de l’enfant, le prive de la relation filiale à ses origines parentales, et peut faire obstacle à la maturation de son identité personnelle ».
De fait, l’homme et la femme ne se trouvent plus à égalité devant l’enfant puisqu’il est issu biologiquement « de l’un mais non de l’autre » – selon Mgr Bruguès. Et même en cas de FIV entre époux, « il n’est pas indifférent, pour la personnalité de l’enfant, d’avoir été engendré dans une éprouvette », estime le P. de Longeaux.
Enfin, l’Église met en garde contre « la perte de valeur de l’embryon », selon l’expression du P. Brice de Malherbe, enseignant de bioéthique à l’École Cathédrale. Du fait, d’une part, de la « réduction embryonnaire » (pour ne laisser qu’un seul embryon se développer dans l’utérus après en avoir implanté plusieurs) et, d’autre part, de la congélation ou de l’utilisation des embryons surnuméraires (à des fins scientifiques), celui-ci voit son statut défini selon un acte de reconnaissance extérieur à lui.
« Tout se passe comme si l’embryon qui n’est pas porté par un “projet parental” n’avait pas de valeur », regrette le P. de Malherbe. Or la tradition catholique soutient que l’embryon est un « être humain à part entière » et doit être traité « comme s’il était une personne ».
Au-delà du « négatif » des mises en garde ecclésiales
« Dès sa conception, rappelait Donum vitae, on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels le droit inviolable à la vie. » C’est souvent « cette question des embryons surnuméraires qui pose un vrai problème de conscience », selon le P. de Longeaux, aux couples catholiques qui pourraient être tentés par une FIV.
Même constat de la part du docteur Éric Sauvanet, chef du service gynéco-obstétrique de l’hôpital parisien Saint-Joseph-Bon-Secours où, depuis 1987 (après Donum vitae) on ne pratique plus de FIV mais où l’on continue d’accompagner des couples infertiles. « Parmi les couples catholiques pratiquants qui nous consultent, 90 % refusent une fécondation in vitro », estime le docteur Sauvanet. Il faut dire que ceux qui veulent une FIV se concentrent sur les centres qui les pratiquent…
En revanche, Jean-Claude Soudée, jeune retraité qui, depuis 2000, anime, avec son épouse, des sessions pour couples en attente d’enfant au centre jésuite de Manrèse, se souvient, à propos de la dernière session en 2004, que « parmi la dizaine de couples inscrits, la plupart étaient passés par l’insémination artificielle ou la stimulation ovarienne. Tous en parlaient comme d’un parcours lourd, difficile, et exprimaient le désir de ne pas s’acharner », poursuit-il.
Car l’enjeu de l’accompagnement des couples sans enfant est bien là : montrer qu’au-delà du « négatif » des mises en garde ecclésiales, il y a du « positif ». « Et puis, souligne le P. de Longeaux, l’Église est sans doute l’un des seuls lieux où l’on ne traite pas de la fécondité d’un point de vue strictement médical mais où les couples peuvent aussi être accueillis et consolés. »
Claire LESEGRETAIN
[1] Conseil pontifical pour la famille, Éd. Téqui, 2005, 1 002 p., 60 €.
Désirs, adoption et perversité
par Axel Kahn, généticien
LE MONDE | Article paru dans l'édition du 27.11.07.
L'aventure rocambolesque de cow-boys de l'humanitaire en manque d'enfants à sauver et à adopter, peu regardant sur leurs nationalité et situations familiales réelles, a déclenché une émotion légitime. On comprend en particulier l'indignation du peuple tchadien, et, plus généralement, des Africains devant cette prétention des "bons Blancs" à aller faire à leurs dépens cette bonne action.
Si gratifiante pour eux-mêmes et pour les leurs. Quelle que soit l'éventuelle sincérité des Pieds nickelés de cette affaire, elle n'en témoigne pas moins de cette commisération compassée que des peuples si durement touchés par l'esclavagisme et le colonialisme ne peuvent accepter.
S'exprimant dans Le Monde du 9 novembre, M. François-Robert Zacot croit trouver dans cet épisode la confirmation de son analyse, selon laquelle toutes les formes d'adoption et, pour faire bonne mesure, les fécondations in vitro pour infécondité, sans parler des perspectives de l'homoparentalité, sont autant de manifestations d'un même désir pervers. N'échapperait à cette qualification de perversité que le contact physique et fécondant entre un homme et une femme. Une telle analyse est bien singulière.
En effet, l'engendrement et la naissance d'un enfant sont toujours la conséquence du désir, celui lié à l'attirance sexuelle, à la recherche de l'orgasme et (ou) à la pulsion à procréer, l'attente de l'avènement d'un petit être avec lequel pourra se tisser un lien dans lequel s'investira souvent l'amour des parents et qui sera le moyen pour l'enfant d'édifier et de développer son autonomie.
Le narcissisme, la conjuration de la finitude ne sont pas absents dans cette force poussant les humains à se reproduire. D'autres fois, la grossesse n'est pas désirée. Elle est parfois le résultat d'une agression, d'un inceste, c'est-à-dire dans ces cas d'un comportement qui, pour recourir au coït dont François-Robert Zacot fait le rempart contre des dérives illégitimes, n'en mérite pas moins d'être dénoncé comme pervers.
Lorsque le couple souffre d'une infécondité et que le projet parental connaît une dissociation radicale du désir sexuel, restent les solutions de l'assistance médicale à la procréation, à laquelle appartient la fécondation in vitro, et de l'adoption. Certes, le concept d'un droit à l'enfant à tout prix doit être critiqué. En revanche, est-il bien raisonnable de disqualifier le désir d'enfant ? Sans lui, pas de filiation.
Une démarche consciente
Le couple dépourvu de toute sensibilité aux jeux sexuels, dont les partenaires sont inappétents l'un de l'autre, qui n'éprouvent aucune joie a priori à l'idée d'élever ensemble un enfant et qui, néanmoins, s'acquittent de leur devoir conjugal afin qu'advienne un petit être qu'ils vont accompagner, sans passion ni amour, jusqu'à son accession à la vie d'adulte, est bien entendu une fiction. Heureusement !
Sans désir, pas d'enfant. Lorsqu'un homme et une femme, et peut-être demain un couple homoparental, dépourvus de la possibilité d'une procréation naturelle, font appel à la médecine ou à l'adoption, il s'agit d'une démarche consciente, volontaire, focalisée sur son objectif et, bien sûr, mue aussi par le ressort du désir.
Il apparaît bien extravagant de disqualifier ce dernier au titre qu'il ne serait pas associé au contact charnel et au plaisir physique. Dans la réalité, cette dissociation est la règle.
Grâce à la contraception, tout est organisé pour que la plupart des rapports entre un homme et une femme restent stériles. Il n'existe bien sûr aucune proportionnalité entre l'intensité d'un orgasme et son intégration à une volonté procréative.
Force est par conséquent de faire l'hypothèse que la thèse singulière défendue par François-Ribert Zacot procède d'une incapacité à penser l'appropriation et la diversification par l'esprit humain des processus de nature. Pour lui, semble-t-il, hors de la pénétration d'une femelle par un mâle, point de salut et dérives perverses.
Dans la récente controverse sur la réduction de la famille humaine à sa composante biologique, M. Zacot, si je le suis bien, se positionne sans ambiguïté en faveur du texte de l'amendement du député Thierry Mariani, voté en première lecture par l'Assemblée nationale.
J'invite l'auteur de cette tribune à observer sans arrière-pensée les familles, dans la diversité de leur nature et des conditions de leur constitution. Il verra alors que l'amour partagé, le sentiment de responsabilité, la qualité du lien ne diffèrent guère selon que les enfants procèdent des géniteurs, c'est-à-dire sont issus d'une procréation naturelle ou artificielle, ou encore sont des enfants adoptés. Dans ce cas, le couple adoptant a même particulièrement fait son deuil de la dimension narcissique de la filiation par le sang. Est-ce pervers ?
Axel Kahn